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Aisling

- Les Vestiges du Passé -

 

 

Chapitre 1

(suite du roman)

 

* Le roman n'étant pas fini, les passages présentés pourraient être par la suite modifié !

 

 

 

 

 

***

Le printemps réchauffait la planète, mais un vent frais persistait après l'hiver rude que les habitants avaient dû endurer.

Dans le vieux centre, construit il y a bien longtemps et presque entièrement fait de pierres et de poutres, marchait un jeune homme. La journée débutait, la rue piétonne était encore somnolente. Aucuns pas sur les pavés ne se distinguaient et un silence reposant régnait.

À la sortie de la ville de ses ancêtres, Ewenn se dirigeait vers l'unique arrêt trans-urbain qui avait été construit après la guerre ; Lock Rônan avait alors été quelque peu laissée pour compte, reposant dans l'oubli général d'un monde qui se hâtait vers une nouvelle ère.

La navette venait de passer, comme d'habitude il attendrait la prochaine. Fort heureusement le jeune homme était prévenant, s'il arrivait en retard ne serait-ce qu'une fois au travail ses employeurs ne manqueraient pas de le virer, et un travail digne de ce nom était dur à trouver désormais. Ewenn en profita pour vaquer quelques minutes à ses rêveries habituelles.

Le temps était si précieux, chacun le savait et pourtant cela n'empêchait guère les nouvelles générations de courir encore et encore après des minutes qui se profilaient sans profiter de celles qu'ils avaient. La respiration du jeune homme se fit plus profonde, il se concentra sur son rythme régulier et sentit un bien être l'envahir. Le temps se figea un instant, il observa ce qui l'entourait. Le soleil à peine levé colorait le ciel de jolies teintes orangées, douces et chaudes annonçant une journée agréable. Aucun véhicule ne circulait, le silence persistait inondant toujours la ville abandonnée. Cela pouvait être tantôt effrayant, tantôt exaltant ; Ewenn, lui, voyait en cette parenthèse une chance ineffable de souffler. Il lui semblait que Lock Rônan était un havre de paix, une bouffée d'oxygène dans ce monde de technologies qui tendait vers l'abandon de l'humanité. Il continua d'observer ce qui l'entourait, quand soudain son regard se posa sur la ruelle qui menait au cœur de la ville, à quelques dizaines de mètres de lui. Des vapeurs s'installèrent dans les zones basses de l'atmosphère, réduisant le champ de vision comme si la ville se protégeait. C'est alors qu'une couleur rouge écarlate apparut, dessinant dans le brouillard grisâtre la silhouette d'un amanita muscaria, champignon d'un mètre de haut et d'un autre légèrement plus petit. La chaleur qui semblait s'en dégager forma plusieurs feu-follets, flottant doucement tout autour de l'apparition. À la fois réel et fantasmagorique, un souffle frais glissa dans les mèches brunes du jeune homme, telle une caresse maternelle qui lui susurrait d'où il venait. Ewenn émit un soupir de bien-être.

« Ting »

La navette s'arrêta devant le jeune homme et ouvrit ses portes. C'était un drone autonome qui respectait les horaires et n'attendait pas que ses potentiels passagers finissent de rêvasser avant de monter. Ewenn se précipita à l'intérieur, revenant subitement à la réalité. Il appuya son doigt sur le rectangle rouge de la borne et valida de son empreinte son droit au transport. Une énième machine avait ainsi enregistré le lieu et l'heure de sa localisation. Si l'état présentait ces mesures radicales comme étant nécessaires à la sécurité des citoyens suite à la Nouvelle Guerre, cela n'en laissait pas moins un goût amer dans la bouche d'Ewenn qui relisait intérieurement le célèbre 1984 d'Orwell. Pourtant il fallait reconnaître qu'ils avaient réduit le taux de criminalité aux cours de ces dernières années. C'est tout du moins ce que l'AND – l'Assemblée des Nouveaux Dirigeants – prétendait. Fallait-il par la suite donner toute crédibilité aux affirmations que les hommes et les femmes – qui dirigeaient notre monde par leur richesse – nous communiquaient ? C'était là une question bien compliquée. Ewenn préféra se persuader que malgré cette mesure intrusive, il existait peut-être en ce système un aspect prolifique pour la société.

Il s'assit aléatoirement, toutes les places étaient disponibles, comme chaque matin. Il reprit ainsi sa contemplation aux travers de la vitre ambrée sur laquelle le soleil poursuivait sa languissante ascension. Les images défilaient rapidement, hypnotisant Ewenn qui se perdait dans de lointaines pensées.

 

À nouveau la navette s'immobilisa, elle avait atteint l'arrêt Hoster-Litz. Le jeune homme descendit et rejoignit son poste à l'autre bout de la rue, une fois de plus en avance. La gare était encore déserte de si bonne heure, mais il fallait ranger tous les journaux qui traînaient. Le kiosque devait être parfait pour accueillir les futurs voyageurs désireux de prendre connaissance des derniers potins – et parfois pour ceux qui lisaient encore sur papier les informations civiles.

Machinalement Ewenn fit ce qu'il avait à faire sans prêter attention à ce qui l'entourait. Une atmosphère étouffante imprégnait le hall de la gare comme d'habitude : un mélange de fumée, d'urine et de renfermé.

Des petits couinements se firent entendre lorsque le jeune homme alla récupérer les revues hebdomadaires dans la réserve. Il siffla doucement entre ses dents pour faire déguerpir les quelques musaraignes qui avaient jugé confortables les piles de papiers. Elles reviendraient sans doute le lendemain. Ewenn se surpris à imaginer quelles difficultés ces petites créatures devaient endurer jour après jour quand soudain il entendit renâcler derrière lui. Il sursauta et constata aussitôt dans la lumière de la porte qu'une silhouette familière se dessinait.

– Encore en train de rêver à ce que je vois.

Prononça une voix qui s'efforçait de paraître dure.

– Tu ne devrais pas être ici Julian, dois-je te rappeler que ton job se trouve de l'autre côté de la gare ? Où bien t'es-tu encore fait virer ?

– Non pas encore, rassure-toi je prends soin de ce magnifique emploi que tu m'as dégoté. Est-ce que je dois quand même mentionner nos conditions pittoresques de travail pour justifier mes petits écarts ?

– Ce n'est pas nécessaire devant moi, garde tes excuses pour ton patron le jour où tu partiras si tu préfères ! Mais n'oublie pas que pour être indépendant, il faut un pécule suffisant.

– Mon pote, j'ai la maison de mes parents pour moi tout seul, je suis déjà indépendant !

– Tu sais bien de quoi je parle, et puis je n'ai pas ta chance personnellement...

 

Ewenn tapa l'épaule de son ami et les deux jeunes hommes sortirent de la réserve, un air déjà plus jovial sur le visage. Ils s'accoudèrent sur la caisse et entamèrent leur discussion journalière faisant de cet instant leur pause habituelle. Leurs conversations au travail n'étaient jamais très intéressantes, mais chaque futilité qu'ils abordaient leur permettait de relativiser leur vie. Si Ewenn vivait encore chez sa mère – principalement car celle-ci avait besoin d'aide et qu'il ne pouvait partir et payer une aide à domicile –, Julian, lui, subissait constamment l'absence de ses parents qui voyageaient depuis son plus jeune âge pour des raisons professionnelles.

Julian Ermod était un ami de longue date d'Ewenn, ils avaient passé leur enfance ensemble, à se soutenir, l'un pour une famille trop oppressante, l'autre pour une famille trop négligente. Cela avait créait un lien logiquement puissant entre les deux compères qui persistait année après année.

– Hey ! Blondi ! Émit tout à coup une voix nasillarde à l'intention de Julian, t'as rien à faire ici, dégage !

Pour unique réponse, le jeune homme sourit à Ewenn et salua théâtralement le patron du kiosque qui venait d'arriver.

– Y'a des limites à ma tolérance mon gars, fit le bonhomme en grognant, cette fois à l'intention d'Ewenn. Ces boissons ne vont pas se ranger toutes seules !

Il poussa un chariot rempli de bouteilles vers son employé et repartit en direction de l'arrière-boutique. La pause était terminée.

La journée continua, les clients s'agglutinaient de plus en plus cherchant quelques occupations dans l'attente de leur train. Le jeune homme se distrayait de la foule, jacassante et grouillante comme des insectes, en feuilletant quelques journaux disponibles. Là encore, les nouvelles mettaient en avant des attroupements : un mariage princier avait réuni des milliers de personnes, les prochains jeux olympiques se dérouleraient comme d'habitude sous le Dôme, un centre sportif créé récemment pouvant réunir des millions d'êtres humains ; et bien d'autres faits divers sans réels intérêts. Ewenn savait que les médias n'existaient que pour ranger la population dans une unique case et non pour diffuser les véritables actualités. La censure aurait presque été remise au goût du jour si internet n'avait pas envahi leurs vies au point que l’État ne puisse plus entièrement contrôler les données qui y étaient livrées.

Le jeune homme se sentit vaciller, abrutis par cette horde qui l'enveloppait de toute part. Il se réfugia dans la réserve pour souffler un instant, les musaraignes le regardèrent, compatissantes. Ewenn tenta alors de percevoir une image rassurante autour de lui, mais comme d'habitude, la gare ne révélait que son aspect le plus sombre et répugnant. C'était un mauvais jour, une fois de plus.

 

 

– Dure journée ?

Lança Julian en entendant son ami soupirer tandis qu'il refermait le rideau de sécurité du kiosque.

– T'imagines pas à quel point...

Les deux compères se racontèrent brièvement leur calvaire journalier pour finalement balayer du revers de la main les heures désolantes qui s'étaient passées.

– Tu restes chez moi ce soir ? On se fait quelques parties de billards pour se changer les idées ?

Comme d'habitude, Monsieur et Madame Ermod laisseraient Julian garder la maison ce soir là, tout seul. Et comme d'habitude le blondinet ne manquait pas d'inviter ses amis pour lui tenir compagnie. Une aubaine pour Ewenn qui profitait également de ces instants pour fuir sa propre famille endoloris. Tout du moins, sa famille à l'exception de son cousin par adoption qui se trouvait déjà chez Julian, affalé dans le sofa du salon. À peine les deux amis avaient-ils poussé la porte qu'une remarque sarcastique les accueillit : la subtilité légendaire de Roman.

– Prend moi cette queue et vient jouer avec Papa !

Exaspérés par les propos de leur aîné mais néanmoins habitué, Ewenn et Julian se munirent d'une tige en bois et débutèrent la partie de billard. Rien de tel pour se divertir et se vider l'esprit. La guitare de Mogwai empli la pièce en rythme d'Acid Food, les quelques meubles très design ne remplissaient pas suffisamment l'espace pour éviter qu'un écho se créait. La musique vibrait tout autour des jeunes hommes les enveloppant d'une bulle réparatrice.

Ils enchaînèrent les parties, rigolant aux éclats, insouciants, ignorants le monde qui les entourait jusqu'à ce qu'Ewenn ressente un frisson lui parcourir l'échine. Son corps entrait doucement en résonance avec son esprit, une connexion insaisissable de tout son être qui le conduisait vers des images aussi imprévisibles que mirifiques, et qui plongeait le jeune homme dans un océan de réconfort. Il fixa ainsi ses amis, dansant autour de la table de billard sur laquelle une herbe fraîche frémissait sous un léger vent. Les boules se confondaient avec les multiples fleurs aux couleurs variées et roulaient dans la végétation. Les murs anthracites s'assimilaient au ciel noir d'une nuit sans lune, éclairée par de faibles étoiles dorées qui côtoyaient quelques bougies. Enfin à l'autre bout de la pièce, une cascade mélodieuse coulait faiblement, dessinant dans le vide un léger serpentin irrégulier de pureté. Ewenn se tenait autant dans le salon de son ami que dans la nature sauvage d'une contrée lointaine.

– À ton tour ! L'enjoins Roman le sortant de sa contemplation.

Ewenn tourna brusquement la tête vers son cousin et vit un halo purpurin l'englober. La sensation de bien-être qu'il ressentait se dissipa aussitôt, la nature avec elle ; le salon des Ermod redevint un simple salon.

– J'aimerais te poser une question depuis le début de la soirée Ju', enchaîna Ewenn qui passait déjà à autre chose. Pourquoi celui-là ?

Le jeune brun tapa dans une boule et la fit entrer dans l'un des trous, Julian suivit son interpellation et comprit que son ami parlait du tableau qui séchait sur un chevalet à l'autre bout de la pièce. Il s'immobilisa et d'un air tout à coup trop sérieux sembla réfléchir à sa réponse.

Les dons en art du jeune blond n'étaient plus à prouver, il venait tout juste de terminer l'un de ses plus grands tableaux, de l'aquarelle ponctuée d'acrylique gorgeant les traits fluides d'une sensibilité poignante. En dessous du ciel rosâtre et de ses légers nuages, la terre ondulante était parsemée de tournesols tournés vers le soleil couchant. Au loin, les hélices d'un moulin battaient une roue, plongée dans l'eau d'une rivière sous l'impulsion d'un vent invisible. Mais si la globalité de l'image – tellement bien réalisée qu'on pouvait facilement se projeter dedans – respirait la fraîcheur du printemps naissant, on pouvait discerner sur la droite une ombre des plus angoissantes. La matière était superbe, d'une porcelaine brillante et aussi blanche que la perfection le désire. Mais assombrissant cette poupée virginale, une énorme fissure parcourait le visage. L’œil de verre fixait le spectateur, invité à rejoindre ce néant idyllique et illusoire. La petite robe rouge était déchirée, les lambeaux volaient sur le même rythme que les hélices. Elle entreprenait une marche macabre à laquelle chacun était convié.

– Lui... C'est compliqué.

Julian n'en dit pas davantage et conclut par un sourire.

Ewenn réalisa alors que tout le monde réprimait des secrets, son plus proche ami, tout comme lui.

 

 

Migway   Leyth

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