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Tout doits réservés  C

Incoercible  Orgueil

 

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Des années de lutte pour arriver à ce niveau, anéanties en quelques instants par la nouvelle venue en ville !

Adryane ne pouvait s'empêcher de se comparer à cette rivale, ce petit bout de femme qui ne payait pas de mine, qui n'atteignait certainement pas ses chevilles surélevées par des escarpins aux talons surprenants. Une femme légèrement ronde dont les formes n'avaient aucune élégance alors qu'elle, filiforme, possédait des mensurations idéales. Sans compter sa chevelure crépue et longue, l'entier opposé de la sienne bien ordonnée, blonde et satinée.

Outre son physique, même son esprit ne pouvait rivaliser avec elle. Bien qu'elle se fasse estimer en tant que spécialiste des mystères du subconscient, elle était sans nul doute moins intelligente et moins intéressante qu'Adryane.

Enfin, comme si cela ne suffisait pas, l'arrivée de la jeune femme avait remis en cause la puissance de la jolie blonde. Il ne s'agissait plus de capacités physiques ou intellectuelles, mais bien au delà d'enchantements.

 

« Je vous présente la nouvelle psychologue de la ville » fulmina Adryane d'un ton dédaigneux. Elle s'adressait aux arbres entre lesquels elle marchait faute de ne pouvoir renvoyer toute sa rancœur à la concernée. La jolie blonde ne se remettait pas de son duel.

 

 

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Plusieurs jours auparavant, Adryane avait rendu visite à la nouvelle venue, directement dans sa chambre d'hôtel. Après avoir légèrement cogné contre le bois, la porte s'était timidement ouverte sur un visage quelque peu ensommeillé. Ce ne fut pas sans réjouir la jolie blonde qui ne manqua pas de dénigrer son ennemie, avant d'entrer dans la pièce sans y être invitée.

« Je peux vous aider ?

Oh ma chère, rétorqua Adryane, oui tu peux m'aider ! »

Un temps, elle continua, rayonnante.

« J'aime rencontrer des sœurs de sang.

Mais de quoi vous parlez ? objecta l'autre jeune femme avant d'être coupée.

Chut ma douce, entre sorcière on se comprend... »

Le ton amical d'Adryane résonnait encore dans la pièce au même rythme que ses talons quand soudain l'atmosphère se fit plus sombre. La voix pimbécharde de la jolie blonde s'emplit d'hostilité.

« Mais ne crois pas que je te laisserais prendre ma place ! »

A peine eut-elle fini sa mise en garde que l'étrangère fut projetée contre le mur par une force invisible, maintenue à la gorge par un vide glacial. Les yeux plissés de l'orgueilleuse déformaient son visage, accentué par ses pommettes saillantes et sa bouche pincée, plutôt fine : le visage d'un démon. Un rictus se dessina à la jonction de ses lèvres, se voulant malveillant, terrifiant. Mais la nouvelle venue ne se laissa guère intimider. Elle aussi possédait de grands pouvoirs, d'ailleurs n'était-ce pas là l'objet de cette visite inopportune ?

Laissant apparaître quelques signes de faiblesse pour mieux faire diversion, l'étrangère parvint à manipuler à distance le miroir de style baroque qui ornait la coiffeuse, juste derrière son agresseuse. Elle laissa le verre s'effondrer sur la tête blonde, se morcelant en une multitude d'éclats. L'étreinte glaciale du vide se relâcha et la psychologue s'écrasa au sol.

Une blessure superficielle s'amorça au sommet du crâne d'Adryane ; du sang perla sur ses cheveux dorés. Légèrement sonnée, elle reprenait à peine ses esprits quand elle tata du bout de ses doigts l'endroit de la douleur naissante. Une substance vermeille recouvrit son épiderme.

Furibonde, Adryane s'apprêta à déverser sa haine sur celle qui avait osé la blesser. Elle était toujours au sol, reprenant difficilement son souffle et se massant le cou. C'était si facile de l'écraser... Mais ce fut à cet instant que les individus occupants les chambres voisines se manifestèrent, alertés par le tumulte. Certain plus curieux que d'autres poussèrent timidement la porte et entrèrent dans la pièce tout en proposant leur aide. Tous revêtirent une mine décomposée en constatant les meubles cassés, l'essoufflement et les blessures – sang pour l'une, bleu pour l'autre – des deux jeunes femmes. Maîtrisant par obligation ses pulsions et ravalant ses rugissements, Adryane les remercia gentiment en un sourire des plus hypocrites. Elle les rassura et leur demanda de bien vouloir les laisser. Comprenant néanmoins que leur démonstration de force ne pouvait se prolonger plus longtemps, la jolie blonde – qui regarda son ennemie se relever difficilement et tousser quelque peu – afficha un grand sourire de satisfaction. Elle se dirigea vers la sortie, d'une nonchalance à toute épreuve sous les regards médusés des voisins de chambre, et juste avant de franchir la porte dit :

« Duel à minuit, demain soir, chez moi au manoir ! »

Avant de reprendre après une courte réflexion :

« Non, après demain, je suis prise demain soir »

Son sourire en disait long, aussi bien sur son orgueil que sur sa puérilité.

Elle sortit enfin, laissant de nouveau paraître son visage enragé quand finalement plus personne ne pouvait le distinguer. La douleur du coup, mais bien davantage de l'humiliation la rendait plus que jamais furieuse et pernicieuse.

 

 

Minuit tinta à la pendule du salon. Adryane, en tenue de soirée, attendait sa rivale un verre à la main. D'un majestueux vert impérial, sa robe était formée d'un bustier et d'un drapé assez près du corps, qui finissait par du satin très fluide dont la fente laissait paraître, à chaque déplacement, sa jambe dans son intégralité. Une tenue peut commode pour se battre. Mais sa confiance en elle ne faisait aucun pli.

Adryane s'installa dans son fauteuil Louis XV, sa main caressait les moulures de l'accoudoir, brûlante d'impatience. La jolie blonde commençait à penser que l'étrangère avait prit peur et s'était enfuie, ou bien qu'elle était trop stupide pour comprendre qu'il n'existait qu'un seul manoir en ville... Mais à peine avait-elle finie sa vodka qu'elle dût ravaler sa jubilation ; un bruit sourd venait de résonner dans la demeure familiale.

Le majordome ouvrit et invita la personne à rejoindre le salon. C'était elle, la psychologue défraîchie pleine de la tête aux pieds d'une attitude déterminée. Cela n'inquiéta guère Adryane qui fit signe de la main à l'intention de l'homme pour qu'il disparaisse.

L'hôtesse se leva et ouvrit la bouche pour dire quelque chose mais n'eut le temps de prononcer ne serait-ce qu'un mot qu'elle fut d'ores et déjà projetée contre la cheminée. L'ironie de la situation ne manqua pas d'aggraver son humiliation.

« Arrête de bavasser, dit l'étrangère, bats toi, je suis venue pour ça ! »

Un sourire honteux s'esquissa sur les lèvres ensanglantées d'Adryane qui n'avait eut le temps de parer le coup. Elle se releva sous les douleurs insupportables que venait de lui infliger l'attaque. Malgré tout, il en fallait davantage pour l'abattre. Une hargne grandissante l'inonda, elle déchira la partie inférieure de sa robe admettant de ce fait que son ennemie se montrait plus opiniâtre que ce à quoi elle s'attendait.

La blonde jeta le tissu, le combat s'engagea !

 

Ce fut une succession d'envolées qui traversaient la pièce. Usant toutes deux du pouvoir télépathique qui les fatiguait le moins et qui permettait d'éviter le corps à corps. Mais cette technique ne faisait aucunement avancer l'issue du duel, car toutes deux se révélaient aussi fortes physiquement que psychiquement.

L'une d'entre elles devraient prendre des risques si elle voulait battre l'autre, mais Adryane refusait de se servir de sortilèges plus puissants pour vaincre une vermine pareille. Ce fut là son ultime erreur, à force d'attendre et de sous-estimer sa rivale, la jeune inconnue saisit sa chance. Alors qu'elle sentit une once de fatigue dans le comportement de la jolie blonde, l'étrangère réunit ses dernières forces et prononça un cantique celtique du bout des lèvres. Le temps qu'Adryane comprenne ce dont il retournait, sa rivale maniait déjà une lame de vingt centimètres qu'elle avait invoquée. Elle continuait de prononcer des mots incompréhensibles tout en affichant un air grave, dramatique, presque en transe pour finalement pointer le poignard légèrement incurvé vers son propre cœur. Adryane reconnut la magie vaudou et fut stupéfaite que sa rivale sache la maîtriser, elle allait d'une seconde à l'autre enfoncer le poignard dans son corps à elle et ce serait le sien qui en subirait la morsure. L'orgueilleuse sentit sa vie ne tenir qu'à un fils, sur le point de lui échapper.

Ce fut à ce moment précis qu'un claquement régulier interrompit les jeunes femmes. Deux mains s'abattaient l'une sur l'autre. Elles appartenaient à un homme d'un certain âge qui applaudissait, debout sur la troisième marche d'un escalier marbré. Il avait l'allure d'un gentleman muni d'une robe de chambre très masculine en satin violet.

« Vous m'avez réveillé mesdames. »

Dit-il sans attendre aucune réponse en retour.

Quel est votre nom ma chère ? »

Sarah, répondit la concernée quelque peu sur la défensive, le poignard toujours dirigé vers son coeur, qui êtes-vous ? »

Votre prochain employeur, belle créature ».

Ces mots déplurent à Adryane qui voyait son mentor prendre sous sa coupe son ennemie. Elle venait non seulement de perdre un duel dont l'issue aurait été des plus funèbres, mais comme si cela ne suffisait pas, l'unique homme qu'elle respectait, son propre père, souhaitait prendre sous son aile cette inconnue débraillée.

 

 

La conversation entre l'étrangère et son père mit Adryane hors d'elle, elle ne pouvait accepter pareil affront, si bien qu'elle se dirigea sans plus attendre vers le labyrinthe de bois et de feuilles qui encerclait le manoir. La superficie était impressionnante, sphère idéale de décharge pour la jeune femme en pleine crise psychotique.

Pourtant comme chacun sait, se laisser dominer par ses pulsions ne conduit jamais à un dénouement triomphant. Et bien qu'elle l'eut su, Adryane continua de se téléporter d'un endroit à l'autre en une fraction de seconde, tout en poussant des mugissements terrifiants. Ce fut comme un pullulement de portails s'ouvrant et se refermant, cheminant au milieu de notre monde.

Elle parcourut la forêt de long en large durant des heures et ponctua ses apparitions par certains déracinements de chênes, consumations de saules, et autres cruautés envers les animaux, dont l'unique finalité était de prouver ses capacités démesurées.

Mais dans cette folle frénésie accaparant son âme, le jolie blonde ne se rendit nullement compte qu'elle se rapprochait progressivement du village. Une dernière téléportation et ce fut plus qu'assez. Sans prendre garde, elle s'empala violemment sur les pointes qui surmontaient un portail.

 

 

Poupée de chiffon transpercée, elle resta là, agonisante dans des borborygmes étouffés, consumée sur la place publique, crevée.

 

 

 

 

 

Migway   Leyth

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